Leçons tirées à la suite d’une grève des employés aux Brasseries Carlsberg


Par Mark Swartz

Spécialiste du marché du travail canadien

Le brasseur danois Carlsberg Group, quatrième producteur de bière en importance au monde, a été récemment touché par une courte grève des employés à son usine en banlieue de Copenhague.

Près de 200 travailleurs de l’entrepôt de Hoeje Taastrup ont débrayé lorsqu’on a réduit leur ration quotidienne de bière gratuite de trois bouteilles à une seule. Une cinquantaine de camionneurs se sont joints au mouvement de grève par solidarité.

Y avait-il un moyen d’éviter un tel dénouement? Quelles conclusions nous permet de tirer cet événement aussi bref que préjudiciable?

Vous m’enlevez quoi???

Voici donc ce qui est survenu chez Carlsberg, une entreprise créée en 1826.

Un changement de politique a été appliqué au début d’avril 2010 et visait à réduire le nombre de bières gratuites accordées aux travailleurs de l’entrepôt de trois bouteilles par jour à une seule. Le règlement stipulait également que la bière devrait être consommée uniquement à la cafétéria, durant la pause du dîner. (Auparavant, les employés pouvait boire leur bière toute la journée en s’approvisionnant à même des glacières fournies par les patrons.)
Ajoutant l’insulte à la privation, l’entreprise n’a pas modifié le règlement des trois bières gratuites par jour pour ses camionneurs.

Ça ne se passera pas comme ça, patron!

Il va de soi que les employé de l’entrepôt étaient mécontents. Environ 200 d’entre eux ont débrayé et bloqué les livraisons pour faire subir à la direction la douleur cuisante des ventes perdues. Une cinquantaine de camionneurs ont décidé eux aussi de faire la grève par appui pour leurs collègues devenus soudain sobres.

L’arrêt de travail « a perturbé les livraisons de bière vers l’île de Zealand », explique Jens Bekke, directeur des communications de Carlsberg. À telle enseigne, paraît-il, que la direction n’a eu d’autre choix que de rencontrer les leaders syndicaux afin de négocier un retour au travail.

Motifs invoqués par les employés pour débrayer

Dennis Onsvig, représentant syndical des employés du Terminal Est, a déclaré que la grève n’était pas simplement le fait du droit des travailleurs à leurs trois bières par jour. « Nous avons en fait débrayé parce que la direction de Carlsberg a violé la convention collective en modifiant la politique sans nous demander notre avis. Nous n’en avons jamais parlé avec elle et il n’était pas question de laisser passer ça. »

Il a ajouté que les camionneurs de Carlsberg avaient toujours le droit à leurs trois bières durant leur quart de travail, ce qui ajoutait un élément de discrimination au dossier.

Leçons à tirer d’une tempête dans un verre de bière

La direction et les RH doivent tirer des leçons importantes de ce coup d’éclat chez Carlsberg.

1. Songez-y à deux fois avant de modifier des politiques très appréciées.
Le simple fait d’avoir un bon motif pour modifier une procédure ne signifie pas qu’il faille l’imposer à vos employés sans les avoir d’abord consultés, surtout s’il s’agit d’un avantage ou d’un privilège qu’ils ont toujours considéré comme acquis.

2. Évitez de donner l’impression de privilégier un groupe de travailleurs au détriment d’un autre
Chaque employé doit conclure que la nouvelle règle est appliquée de façon équitable et que toutes les parties en cause seront touchées de la même façon.

Ne comptez pas sur la logique pour vous sortir d’affaire!

La leçon la plus importante est sans doute le fait que la logique ne prévaut pas toujours lorsque vous tentez de modifier des politiques auxquelles vos employés tiennent mordicus.

Tout ce « broue-haha » chez Carlsberg a pris des dimensions insoupçonnées qui ont entraîné des réactions manifestement risibles de part et d’autre.

La direction a-t-elle vraiment annulé le droit des employés à leurs trois bouteilles de bière par jour? « Nous avons enlevé les bières additionnelles de tous les réfrigérateurs du site auxquelles les employés avaient droit chaque jour, explique Jens Bekke. Par contre, nous avons installé des robinets pour permettre aux employés de s’abreuver gratuitement; il leur est donc absolument possible de boire plus qu’une seule bière durant leur heure de dîner. »

Le personnel de l’entrepôt a-t-il été vraiment traité avec moins d’égard que les camionneurs? Les dirigeants de Carlsberg avaient auparavant échoué dans leur tentative d’enlever aux camionneurs le droit à leurs trois bières par jour. Ils ont donc fait installer des antidémarreurs éthylométriques dans tous les camions de l’entreprise, afin d’empêcher le démarrage de tout véhicule dont le camionneur affichait un taux d’alcoolémie dans le sang supérieur à la limite légale de 0,05 %.

Évaluez, consultez et mettez prudemment en application

Lorsqu’on envisage un changement de règle, il faut retenir trois éléments de base. En premier lieu, il faut tenir compte des répercussions potentielles et ne pas minimiser les réactions des employés. (Vous nous enlevez nos trois bières : nous déclenchons la grève!)

Il faut ensuite consulter les employés, s’il y a lieu, pour savoir ce qu’ils pensent de certaines politiques. S’ils accordent de l’importance à un droit existant, y a-t-il une façon de le modifier qui soit, ou semble être, plus acceptable?

Finalement, il faut mettre en œuvre la nouvelle politique avec prudence. Il vaut parfois mieux procéder lentement et par étapes. De cette façon, les employés ont le temps de se faire à l’idée plutôt que de réagir violemment.

Bien sûr, on pourra débattre une autre fois de la logique à distribuer de la bière au travail (la seule restriction chez Carlsberg était « qu’il est interdit d’être ivre au travail et qu’il revient à chacun d’agir de manière responsable », a expliqué Bekke). Ce qui importe, c’est de faire accepter vos changements de politique tout en vous assurant que la productivité « coule à flots »!